Nicolas Bonneau: la scrittura come collectage, il teatro come documentario

bonneau sortie d'usineAbbiamo incontrato Nicolas Bonneau a Parigi, in occasione della ripresa del suo spettacolo Sortie d’usine, in cartellone presso il Grand Parquet dal 24 aprile al 18 maggio (dal giovedì alla domenica). Bonneau, classe 1973 e originario della regione Poitou-Charentes, porta avanti da alcuni anni un’intensa attività di “collectage”, di raccolta di parole che diventano parole raccontate sulla scena e nei libri che egli ha talvolta pubblicato a partire dai suoi spettacoli. Il testo di Sortie d’usine, dedicato agli operai di ieri e di oggi, è stato edito da Paradox nel 2008. Lo spettacolo è da quest’anno disponibile anche in dvd ed è nato nel 2006 dalla curiosità di un figlio che voleva capire come mai un giorno suo padre avesse lasciato improvvisamente la fabbrica in cui lavorava. Si tratta di un lungo monologo pieno di umorismo e di tenerezza nei confronti dei personaggi cui Bonneau dà vita, inserendo nella narrazione anche la sua figura di giovane raccoglitore/raccontatore che chiede agli operai di spiegargli perché fanno quel lavoro e si sente spesso rispondere: “E tu perché stai facendo quello che stai facendo?”

Abbiamo posto anche noi a Nicolas questa e altre domande:

–          Tu te définis comme un « conteur en scène », tu portes sur scène des récits, des paroles, des vécus d’autrui. Quelle est la démarche d’élaboration de tes contes en scène ?

C’est une démarche qui se fait à partir du collectage, d’interviews, d’enquêtes sur le terrain, comme un sociologue ou un enquêteur. À partir de ça, j’amasse des matériaux puis je vais construire une histoire à partir des matériaux. Ou bien j’ai déjà une histoire en tête et je cherche les matériaux pour la mettre en place.

–          À quel moment intervient-elle l’écriture?

Pendant le collectage je pense déjà à l’écriture, donc je note des scènes possibles, des histoires possibles, une dramaturgie possible. Les deux se font un peu en parallèle, l’une influence l’autre. Au moment de la mise en scène, j’arrive avec mes matériaux et j’improvise sur scène. C’est un peu une écriture au plateau. C’est un aller-retour sans arrêt entre la scène et la table d’écriture.

–          Est-ce que la mise en scène modifie beaucoup le texte ?

La mise en scène c’est pareil, elle vient aussi de l’improvisation et du plateau. Ce n’est jamais fixé à l’avance, tout se fait au même temps mais c’est le temps du présent du plateau qui dit ce qu’il faut faire. J’ai les matériaux, j’improvise, quelqu’un me regarde, on réessaie, je réécris, je reviens et tout ça se construit un peu au même temps.

–          Est-ce qu’on pourrait dire que le processus d’élaboration de tes textes est dans une certaine mesure une activité collective ?

Oui, je ne pourrais pas le faire tout seul, en tout cas ce n’est pas pareil, il faut des gens qui regardent et il faut que je m’adresse à quelqu’un. Des femmes, plutôt. Parce que je pense qu’elles ont une sensibilité qui fait que je me sens plus à même de travailler avec des femmes qui sont plutôt des accoucheuses finalement. En effet c’est un peu un travail d’accoucheuse qui pourrait être aussi fait par un homme mais il se trouve que je travaille surtout avec des femmes pour la mise en scène.

–          Donner la parole à des catégories sociales, porter leur expérience sur scène, pose des questions majeurs au niveau éthique, au niveau de l’image de soi que l’on transmet à travers son discours. On voit bien dans Sortie d’usine que tu en es conscient et c’est pour ça qu’on apprécie, par exemple, la pudeur avec laquelle tu évites de te servir de ton père pour t’attribuer une quelconque légitimité à prendre parole sur la question ouvrière en préférant plutôt élaborer une interrogation à ce sujet. Est-ce que tu as trouvé une réponse à la question sans cesse posée « pourquoi vous faites ça » ?

Dans ce spectacle en particulier la réponse est sans doute par rapport à mon père. Mais en ce qui concerne la légitimité, c’est sûr qu’on se pose la question « est-ce que je suis légitime pour parler des ouvriers n’ayant pas travaillé en usine ?». J’ai compris qu’à un moment donné je faisais ce spectacle pour mon père, pour lui rendre un certain hommage donc c’est le secret du spectacle mais je ne le dis pas trop, il ne faut pas que ça devienne trop pathos, je le garde en filigrane. Le fait de poser la question permet donc de montrer que je ne suis pas dupe et que je suis bien conscient que je ne suis pas ouvrier, que je n’ai jamais travaillé à l’usine donc cela crée du suspense, une quête, la quête d’une histoire et l’enquête qui fait le fil dramaturgique du spectacle parce que c’est quand même un spectacle et que cet élément amène de l’humour et un peu de ridicule de ma part. Du coup je ne suis pas le héros, je suis un peu le anti-héros, toujours un peu à la limite, un peu ridicule et ça amène une manière de me mettre en retrait derrière et de laisser la place à d’autres. Mais dans mes spectacles je pose souvent la question « pourquoi tu fais ça ? » parce que de fait, quand on démarre, on ne sait jamais pourquoi, on cherche. Moi, je ne cherche pas à trouver, je cherche à chercher.

–          Dans ton spectacle tu dis qu’à l’école tu avais honte de dire que tes parents étaient ouvriers et que donc, en face de profession des parents, tu mettais « employés d’usine » alors que maintenant tu rends hommage aux ouvriers et à tes parents.  Qu’est-qui a déterminé ce changement ? 

Il faut dire que tout ce travail m’a un peu pris par surprise et que c’était avant tout une manière pour parler à mon père. C’était aussi une manière pour se réapproprier sa mémoire plutôt que de l’oublier. Parce que je ne m’étais jamais intéressé de cette mémoire ouvrière et que mon père arrêtant l’usine au bout de 35 ans m’a paru un bon moment pour le faire.

–          Aujourd’hui on a l’impression que la classe ouvrière est instrumentalisée par un discours, souvent artistique et intellectuel, où des sujets se réclament de ce passé familial, de ce genre d’héritage social, pour mieux mettre en valeur par contraste leur propre parcours exceptionnel et leur capacité de réussir au-delà des déterminations sociales. Qu’en penses-tu ?

Moi, j’ai surtout voulu éviter tout pathos et je n’ai pas voulu que ce soit un spectacle tragique avec une mise en scène créant du pathos artificiel à partir du mot d’ « ouvrier ». C’est pour ça que beaucoup d’humour dans le spectacle est volontaire parce que c’est une manière pour moi de ne pas utiliser cet élément à des fins un peu trop pathétiques, du genre « regardez comme ils sont malheureux », c’est une manière pour moi de ne pas les victimiser. Par ailleurs, je savais que mon père allait être dans la salle et qu’en faisant ce spectacle je voulais m’adresser aux ouvriers que j’avais rencontrés : je ne voulais pas qu’ils se sentent trahis, qu’ils se voient mis en scène et qu’il ne se reconnaissent pas du tout. Donc mon intention n’était évidemment pas de me montrer mieux qu’eux mais même plutôt de me rendre un peu ridicule. Mon moteur c’est la tendresse, la bienveillance. Dans mon spectacle je montre des êtres humains et il se trouve qu’ils sont ouvriers, je montre un monde mais j’ai essayé de ne pas utiliser tout cela pour me mettre en valeur.

–          Est-ce que ton père a apprécié ton travail en le voyant ?

Il ne m’a pas trop dit parce qu’il est un peu comme le Gilbert Simoneau du spectacle, le personnage de taiseux, il ne parle pas beaucoup. Il a dit que c’était bien et qu’il était ému. Il faut dire que la plupart des gens ne vont pas souvent au théâtre alors c’est un peu bouleversant de se voir mis en scène. Les ouvriers qui ont vu le spectacle ne m’ont pas beaucoup parlé. Ils étaient contents, ils étaient fiers mais je n’en sais pas beaucoup plus finalement.

–          Le silence est d’ailleurs un enjeu important de ton spectacle. Comment s’explique à ton avis ce silence des ouvriers, ce fait que, comme tu le dis, très souvent pour eux « il n’y a pas grande chose à dire » sur leur vie et sur leur travail ?

Je pense que ce n’est pas que les ouvriers qui disent ça, ce serait d’autres catégories sociales aussi, par exemple les agriculteurs. Je pense que c’est parce qu’il ont peut-être une image d’eux-mêmes qui n’est pas très forte. Mais par exemple cela ne concerne pas les ouvriers engagés dans les syndicats ou très politisés, qui ont la parole plus facile. C’est plutôt le cas des autres ouvriers dont je parle, des ouvriers d’usines dans les campagnes et qui ne sont pas forcément syndiqués. Peut-être qu’ils ne parlent pas beaucoup parce qu’ils sont blessés aussi. Blessés que ce mot d’ouvrier soit en train de disparaitre, et qu’ils n’ont pas beaucoup de confiance dans leur culture. Moi en fait j’ai découvert qu’il y a bien une culture ouvrière, une société, un monde dont je ne me doutais pas vraiment. Donc le taiseux est un caractère qui représente des gens qui courbaient l’échine et qui travaillaient avec fierté. Moi, je suis d’une génération qui a rompu avec ça mais qui porte encore une névrose de classe finalement. Moi-même j’ai cette relation au théâtre, je ne me sens pas légitime non plus. Mon fils qui veut faire du théâtre, peut-être qu’il n’aura pas cette névrose mais moi je la porte encore un peu.

–          C’est-à-dire que la parole est soit un privilège des plus forts en termes de caractère, soit des plus forts en termes de moyens matériels et cela devient très excluant dans un pays comme la France qui voue presque un culte à la parole.

Justement, mon père, il parlais un peu patois avec des mots d’argot et mes copains ne comprenaient pas toujours ce qu’il disait. Par exemple, dans ce patois des Deux Sèvres en Poitou-Charente, on utilise le même pronom personnel « i » pour dire « je » et pour dire « nous » donc c’est aussi un peu une négation du je et de l’affirmation de soi. Ceci dit, la parole est un privilège de classe, c’est sûr. Les personnages au théâtre, quand ils sont plus forts c’est souvent qu’ils ont le privilège d’une meilleure langue, d’une meilleure parole que d’autres. Parler sur scène est donc un privilège et moi j’ai travaillé pour ça surtout que, tout en travaillant avec d’autres gens, je prends la parole seul en scène. La manière dont je fais du théâtre fait partie de mon histoire, c’est-à-dire que je pense avoir trouvé, au moins pour un temps, ma place dans ma façon de faire du théâtre, de mélanger ma vie avec la fiction, le réel avec l’imaginaire. Parce que je pense que l’on ne sait pas vraiment ce qui est vrai et ce qui est faux dans ce que je raconte. Je suis artiste, je ne suis pas un historien. J’ai fait des études d’histoire mais je suis sur un fil entre l’imaginaire et le réel et quand je vais voir les gens que je collecte, je leur dis tout de suite que je vais les trahir un peu, que je vais mentir, mais que je vais essayer de garder l’esprit. Parce que j’essaie de ne parler que de gens qui me plaisent, avec de la bienveillance. Mais moi je fabrique des histoires, donc je suis un menteur et je joue un peu avec ma propre réalité.

–          Est-ce que dans Sortie d’usine, à côté d’une figure paternelle on trouve aussi une figure maternelle ?

Ma mère était ouvrière mais ce n’est pas elle la Catherine du spectacle, qui en revanche c’est vraiment une femme que j’ai rencontrée…Gilbert aussi est une personne que j’ai rencontrée mais en lui il y a aussi un peu de mon père. Le personnage de Catherine faisait aussi écho à tous ces italiens qui sont venus aussi dans l’Est de la France, en Lorraine, son histoire est donc bien crédible et représentative.

–          Sortie d’usine donne la parole à hommes et femmes, pourquoi était-il important pour toi de représenter les uns et les autres ?

Je pense que la parole des hommes et des femmes n’est pas la même, je trouve la parole des femmes plus légère, plus révoltée, plus vivante, et j’aime porter la parole des femmes dans mes spectacles parce que j’aime bien jouer les femmes aussi, c’est bien pour un comédien. Il y a des ouvriers et des ouvrières, parfois ils font un genre de boulot différent en ce qui concerne la force physique. En plus, les femmes je n’ai pas pu les voir travailler parce que cette maison de confection dont je parle n’existe plus, c’est une histoire qui relève d’un vécu révolu et que je montre seulement à travers une galerie de personnages alors que pour les hommes, j’ai pu voir l’usine et que sur scène je suis dans l’usine. J’ai aussi pensé à toutes ces sardinières de Bretagne, je me suis documenté sur leur travail et puis il y avait eu un spectacle avec des ouvrières sur scène qui jouaient leurs propres textes qui est devenu le livre Les mains bleues de Christophe Martin.

–          Il y a beaucoup d’Italie dans la pièce : Bella ciao, le personnage de Catherine l’immigrée, est-ce que tu as un rapport spécial avec ce pays ou avec sa langue ?

Pas vraiment, j’ai fait du latin, j’ai étudié l’art romain et j’aime bien la peinture italienne que j’ai vue à Florence et à Rome… Mais j’ai mis un peu d’Italie dans mon spectacle parce que j’ai rencontré cette femme qui avait des origines italiennes et puis sinon je me suis un peu intéressé au côté politique et communiste de l’Italie.

–          Ton théâtre documentaire s’appuie sur de nombreux savoirs : tel un chercheur tu recueilles des récits de vie et ensuite tu les composes pour donner accès à l’Histoire. Pourrais-tu nous dire quelques mots sur tes études et sur ton parcours de formation ?

J’ai fait jusqu’à une licence d’histoire, j’aurais bien voulu faire des études de théâtre mais je n’ai pas été pris au Conservatoire. Je ne savais pas comment on faisait du théâtre et j’aurais voulu que l’Etat ou la République m’offrent ça mais je n’ai pas pu. Donc du coup j’ai fait autrement, je suis passé par la petite porte. Disons que quand je prépare un spectacle, je m’y mets un ans ou deux avant : je vais recueillir plein de livres, de témoignages, de matériaux, j’essaie de devenir à chaque fois une sorte de spécialiste de mon sujet, ce que mi paraît la base, le minimum, évidemment. J’aime bien aller voir des spécialistes, des conférenciers, j’aime bien les mélanges de disciplines, aller voir des gens qui font autre chose que le théâtre et croiser les regards. Je me sens documentariste aussi, comme un cinéaste, en fait, sauf que j’ai un crayon et mon corps pour faire les images. Par exemple, je ne me sens pas militant dans ma démarche, je me sens politique mais je ne veux pas faire de prosélytisme, je ne dis pas ce que je pense moi personnellement. Certes, si je fais un spectacle sur le monde ouvrier c’est déjà une démarche assez forte mais j’essaie par contre de m’oublier un peu, je ne me trouve pas plus intéressant que ça, je ne pense pas que mon opinion est si intéressante donc je mets celle des autres en valeur, j’essaie d’être une oreille qui écoute pour trouver les bonnes phrases, les ressortir. 

–          Quel sera ton prochain spectacle ?

En ce moment je travaille sur Le Misanthrope de Molière. Je me mets en rapport avec un classique, je me mets en danger par rapport à ça, peut-être, mais je cherche les Misanthropes d’aujourd’hui, je cherche ce que cette pièce a à nous dire, à nous, à nos cœurs et à nos corps aujourd’hui : donc je cherche le côté contemporain de ce texte-là. Je ne vais pas dire tout le texte de Molière en entier mais je vais en dire un peu et puis je vais travailler avec une classe de lycée et voir ce que cela leur fait au niveau de l’amitié, des personnages. Le spectacle s’appelle Looking for Alceste et c’est encore un mélange et une enquête à l’intérieur du Misanthrope.

Puis je viens de faire un travail sur la boxe, Ali 74, le combat du siècle : les clubs de boxe sont sociologiquement un monde incroyable et très intéressant, comme on peut lire dans Corps et âme. Carnets ethnographiques d’un apprenti boxeur (2000) de Loïc Wacquan, un élève de Pierre Bourdieu, texte écris après avoir fréquenté un club de boxe aux Etats-Unis. Je suis allé en Afrique aussi parce qu’il y a eu ce combat en 1974 entre Mohamed Ali et George Foreman. J’ai fait aussi un spectacle sur Mai 1968, Inventaire 68, et un autre sur les Fait(s) divers : je cherche toujours à mettre en résonance la petite histoire humaine, une histoire particulière de quelqu’un, et la grande Histoire sociétale.

 Propos recueillis par Silvia Nugara et Claudio Panella, le 15 mai 2014

Per informazioni sugli spettacoli e le altre iniziative di Bonneau: http://www.lavoligenicolasbonneau.fr/

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La redazione di Atti impuri